Et pas pour n’importe quel trafiquant : vrai produit de la Guerre froide, Viktor Bout est l’archétype du trafiquant d’armes. Profitant de l’émiettement du Bloc soviétique et de son vaste réseau de contacts et de sociétés, dont plus de 40 entreprises aériennes, il a recyclé, dès 1992, l’arsenal de l’ex-URSS. Versatile, ses activités étaient tant légales qu’illégales et ses clients nombreux. Bout est en effet suspecté d’avoir alimenté en armes de nombreuses zones de conflits, telles que l’Angola, le Congo, le Rwanda, la Sierra Leone, le Soudan ou encore l’Afghanistan.
Arrêté à Bangkok en mars 2008 et extradé aux États-Unis en novembre 2010 après un bras de fer diplomatique entre Washington et Moscou pour son extradition, son procès avait démarré à New York le 11 octobre 2011 sur base de quatre chefs d’accusation : conspiration dans le but de tuer des citoyens américains, de tuer des officiers américains, de vendre des missiles sol-air et de fournir une aide matérielle à une organisation terroriste. Chefs d’accusation liés à l’opération d’infiltration menée par la DEA ( le service américain de lutte contre le narcotrafic) dont les agents s’étaient fait passer pour des membres des FARC colombiennes. Ils prétendaient vouloir négocier avec Bout l’achat d’un arsenal d’armes destiné à combattre les troupes américaines en Colombie.
Le 2 novembre 2011, après trois semaines de procès et 8 heures de délibérations du jury fédéral,
Viktor Bout avait été reconnu coupable de tous les chefs d’accusation. Sa peine devait initialement être annoncée le 8 février 2012. Celle-ci a été reportée à plusieurs reprises – et cela à la demande de l’avocat de la défense – avant d’être définitivement fixée au 5 avril. Entretemps, Victor Bout a quitté la cellule d’isolement pour rejoindre la population carcérale de la prison de Brooklyn ; la juge Shira Scheindlin, en charge de l’affaire, estimant qu’il ne représentait pas de menaces pour les autres prisonniers. A cet égard, l’avocat de Bout s’était plaint des conditions « barbares » dans lesquelles son client était détenu.
Les jours précédents la sentence, les procureurs fédéraux requéraient la réclusion criminelle à perpétuité. Pour l’avocat de Bout, Albert Dayan, ces poursuites judiciaires « injustifiées » n’étaient que « malveillance » de la part du gouvernement américain. Il avait exigé jusqu’au dernier moment, que soit rejetée l’acte d’accusation à l’encontre de son client qui devait être considéré comme un prisonnier politique. Bout et son avocat ont régulièrement affirmé que celui-ci avait quitté le business des armes depuis des années. Ce procès n’était basé que sur « des mots, des mensonges et des suppositions ». Les arguments de la défense de Bout semblent ainsi avoir été écoutés comme le démontre la décision finale de la juge, la peine minimum requise. Pour la juge, si le passé de Bout est connu pour avoir servi certains « des régimes les plus vicieux au monde », aucune preuve ne soutient la thèse que Bout aurait commis les crimes dont il est accusé dans ce procès, s’il n’avait pas été la cible d’une opération d’infiltration : « Bout n’a jamais exprimé aucune intérêt de nuire à des Américains ». Toujours selon la juge, les charges concernant le soutien au terrorisme sont « fondamentales injustes ». L’avocat de Bout a déjà confirmé qu’il fera appel de cette condamnation.
Force est de constater que l’aspect unique de ce procès basé sur une opération d’infiltration et les arguments de la juge pour la peine minimum ne contribuent pas à en faire un antécédent fort pour la poursuite de trafiquants d’armes dans le futur.
Voici la fin (?) de l’épopée d’un homme qui a éludé la justice pendant plus de deux décennies ; un homme dont les activités ont permis de mettre en lumière les lacunes des réglementations nationales, régionales et internationales sur le commerce des armes et l’urgence d’une lutte cohérente et coordonnée contre le trafic des armes sur tous les continents.
Les prochaines négociations pour adopter un
Traité sur le commerce international des armes en 2012 représentent une opportunité que les États ne doivent manquer sous aucun prétexte. Ce traité devrait être le premier à imposer à tous les États des règles communes applicables aux transferts, et notamment aux activités d’intermédiation comme celles dans lesquels Bout était impliqué.
Pour rappel, la Belgique a déjà eu affaire à Viktor Bout dans les années 1990, lorsque les autorités belges avaient découvert que plusieurs avions du trafiquant, basés à Ostende, avaient servi pour livrer des armes au Rwanda en violation d’un embargo. L’État belge n’avait toutefois pas pu l’arrêter, faute d’une législation suffisante. À ce propos, le GRIP rappelle qu’actuellement,
en Belgique, il n’y a toujours aucun contrôle effectif exercé sur les courtiers en armes. D’une part, les dispositions législatives actuelles ne sont pas conformes à la
Position commune européenne sur le courtage, et d’autre part, un conflit de compétences entre les différentes autorités paralyse toute initiative pour améliorer la législation.
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